• L'Homme de tout temps court après des chimères bien souvent amères qu'il nomme bonheur.

    "Bonheur déchu, O grande misère qu'est cette terre" s'écria-t-il "Quelle injustice! quel suplice!"

    Et il se lamenta, ventre contre terre cherchant de précieuses pierres. Mais dans le reflet

    d'un miroir, il découvrit de pauvres vers de terre   "O grande misère, on me maltraite!".

    Et il pleure ventre contre terre cherchant des plaisirs de la chair. Mais dans le reflet d'un miroir,

    il découvrit de pauvres vers de terre. "O grande misère, grands dieux vous êtes mon désert"

    Ainsi l'Homme se lamenta. Il mangeait, il buvait, il vivait et il mourut en pleurant.

    Le trésor, le bonheur était à côté de lui mais il ne le vit pas.


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  • Elle devrait pleurer, crier l’absurdité de la vie mais il n’en est rien.

    Elle regarde par la fenêtre de sa chambre lles toits reluisants du soleil d’été habillés d’une coiffe grise ardoisée qui s’élevaient vers un ciel bleu azur, pur.

    Non, ce n’était pas un rêve, ni un cauchemar, elle se souvient très bien de cette journée où elle accompagnait Mark chez plusieurs concessionnaires de voitures pour les essayer toutes. Son avis certes n’avait pas d’importance mais sa présence le rassurait. Pendant qu’il conduisait une Opel Corsa au sortir de la ville, elle observait ce profil droit où les traits dessinaient un visage presque parfait à la fois sévère et sensuel. Son regard noir, persan, fixait la route alors que ses pieds et ses mains maniaient le véhicule tel un cavalier désirant maîtriser sa monture.

    - Elle ne vaut rien !

    Elle écoutait, comme un chant lointain, ses paroles altières au son péremptoire qui s’envolaient telles des volutes d’encens s’élevant dans les airs pour  se dissoudre, s’anéantir.

    «  Jugements téméraires. » pensait-elle mais quelle importance ? Malgré le personnage infatué de Mark, elle l’aimait. Son âme se pâmait quand il l’emmenait dans l’empyrée des plaisirs et de l’insouciance où elle exhalait sa joie, et s’oubliait dans ce  bonheur....dans le bonheur...

     

     

    - Arrête-toi !  cria-t-elle

    Le ton brusque et si peu habituel de sa voix surprit Mark qui freina aussitôt.

    Devant, au milieu de la route, une petite boule touffue, brune était immobile.  «  Qu’est-ce que c’est, que fait-il là ? » se demandait Mark mais déjà elle revint s’asseoir à ses côtés avec l’animal en question sur les genoux.

    - Démarre, nous gênons la circulation.

    Elle observait curieusement, étrangement cet être presque sans vie abandonné entre ses mains pendant que défilaient au loin des monts cornus, embrumé par des nuages bas. Elle souriait avant qu’elle ne posât son regard sur les lèvres pincés de Mark et dans un silence presque coupable ils rejoignirent leur trois pièces de la rue de la Paix dans leur vieille Ford Bruyante , pétaradante.

     

    - Que vas-tu faire ? Nous ne pouvons pas le garder !

    - Je sais. Je lui donnerai de quoi lui redonner quelques forces puis je prendrai contact avec des organismes.

    Le renardeau affaibli se déplaçait avec lenteur et s’étendit brutalement de  tout son corps menu sur la seule tâche de soleil étalée sur le parquet du salon. Animal de la nuit, te voilà frissonnant de tes douleurs (mais lesquelles ?) et tu cherches la lumière pour un peu de réconfort, pensait-elle assise à côté de lui, rêveuse et inquiète par la présence de cet être singulier. Pendant le sommeil profond et presque en apesanteur de l’animal, elle s’avisa à téléphoner à son vétérinaire qui la renvoya aux Services Vétérinaires.

    - Malheureuse, qu’avez-vous fait ? S’écria l’homme derrière son combiné.

    Malheureuse qu’avez-vous fait, malheureuse qu’avez-vous fait, malheur...., La phrase résonnait à foison dans sa tête telles des cloches en branle, en furie.... Condamner le renardeau par le sceau de l’odeur humaine (mais ne l’était-il pas déjà ?) et mettre la vie de Mark et la sienne en danger voilà ce qu’elle avait fait !

    Le lendemain, sous un soleil matinal encore timide, ils allèrent sans tarder à l’Institut d’Hygiène pour recevoir leur première injection antirabique. En quittant l’établissement médical, elle regardait avec une sorte de candeur la lumière jouer entre les frondaisons des marronniers et dans un mouvement enfantin, presque frivole, elle fit tournoyer les flots arachnéens de sa robe noire de ses mains dont l’une d’elle s’échappa pour aller vers celle de Marc qui la lui retira brusquement.

    - Mais qu’est-ce qui t’es passé par la tête ?

    [s1]  Malheureuse, qu’avez-vous fait ?

    Rien.

    Elle n’avait pensé à rien, si ce ne fut que l’élan de son coeur qui agît.

    Il faisait beau ce jour-là mais un voile humide venait assombrir ses yeux. Les jugements sarcastiques, même non dits de Mark, lui faisaient mal, là, à cet instant.....Pas avant, ni après, non maintenant.

     

     

                    Deux semaines s’écoulèrent dans une atmosphère lourde et pesante. On lui avait intimer de garder le renardeau sous surveillance. Sous surveillance ? Elle surveillait chacune de ses urines âcres et ses selles liquides répandues par ci, par là qu’elle ramassait ou plutôt épongeait. Puis, elle lavait le sol à l’eau de Javel. Il faisait chaud, l’air était saturé de chlore et Mark....

     

    Un soir, elle s’assit devant son bureau et prit sa plume pour écrire la date du jour :   «  3 juin 1990  ».

    Le 3 juin 1990. Une goutte noire perlait à la pointe de sa plume, en suspension comme elle. Son journal , elle avait cessé de l’écrire peu de temps après sa rencontre avec Mark. Se pencher sur ce cahier lui donnait une sensation étrange, presque agréable, car les odeurs des années passées lui revenaient et une certaine nostalgie s’appesantit sur elle.

    « 3 juin 1990. Le renardeau est dans l’appartement depuis quatre semaines. Son poil raide est tombé laissant place à un pelage laineux. A son arrivé, il regardait droit devant lui, uniquement, et se heurtait aux pieds des chaises, de la table....Et pleurait, pleurait ! puis, il a découvert une nouvelle dimension où il a trouvé du réconfort : il a levé les yeux et m’a regardé. Depuis il me suit partout. »

    Le juron de Mark la fit sursauter.

    « Nous jouons ensemble. Depuis qu’il mange de la viande crue, ses excréments sont ceux d’un animal en bonne santé. Certes, ce n’est pas un chien et le pâté ne lui convenait pas. Et il urine dans la litière. Parfois                   je ris quand je le vois être la dupe de ses sens si peu accommodés à cette vie urbaine...Humaine....Mais je ris amèrement.  Je voudrais qu’il retrouve sa nature . »

    Un autre juron. Mark est dans la pièce voisine à rectifier certains programmes informatiques.

    «  Les portent se ferment. Le refus des associations ou d’autres organismes me plongent dans un grand désespoir. Que faire ? A cause des lois, je suis hors la loi parce qu’il est nuisible .... Parce qu’il vit les lois de la nature , parce que ...Mais ne serait-ce pas plutôt les lois qui seraient contre nature ?

    Je me sens seule, terriblement seule. Tout comme lui certainement. »

    Des larmes lui montèrent aux yeux, le flux et le reflux de la tristesse et de la colère.. 

    «  Si j’ai la rage, s’est bien celle qui naît de l’absurdité, de l’abandon, des rebuffades, ..... Qu’elle est donc cette dimension que je n’aie pas vue ? »

    Et elle pleura, la tête enfouie entre ses bras posés sur le bureau.

    - Que t’arrive-t-il ? C’est toujours à cause cet animal ? Mark l’avait rejointe dans le salon.

      Remets le dans la forêt ! ! ! !

    - Mais il se fera dévorer par les siens s’exclama -t - elle dans un mouvement d’affolement.

       Et j’en suis maintenant responsable !

    - Responsable ? ah, ah, ah mais de quoi ce n’est qu’un animal sauvage qui de plus n’a rien à faire ici .

         Responsable mais de quoi ?

    Son rire goguenard l’agaçait.

    De quoi, oui, de quoi ? pensa-t-elle. D’une vie qu’elle avait arrachée à sa nature. Responsable de son insouciance, de son acte. Responsable de son acte, cette phrase n’avait jamais pris tant d’importance qu’à cet instant.

     

     

    Des hirondelles poussent des cris bruyants, gueulards tout en traçant dans le ciel des cercles, des bulles....Oui des bulles irisées pense - t - elle qui éclatent et qui font mal aux yeux.

     

     

    « 20 juin 1990. Le croissant de la lune rayonne ce soir dans la nuit, quelques bruits de volets et les derniers éclatements de voix vont doucement rejoindre le rêve d’un sommeil, d’un ailleurs.

    Je l’ai appelé Saturne . Il m’a mordu récemment.

    Depuis quelques jours, de vives douleurs broient mes articulations et ma tête tourne, tourne....L’idée de la mort m’effraie et comme une ombre, toujours elle rode autour de moi. Je me sens vide, dépossédée. Le sol se dérobe sous mes pieds et je glisse à côté de moi-même. J’ai mal.

    Des mots, des questions s’entrechoquent par myriades  dans mon esprit nuit et jour et j’ai peur. Peur de ne plus me réveiller, de  perdre mon existence. Mais qu’est - elle ? Je ne vois rien. Pas même une once de lumière dans cet océan noir, pollué par toute ma légèreté d’être. Mais que m’arrive-t-il ? Où est mon fanal ? Pourquoi tous mes plaisirs passés ne peuvent-ils donc pas apaiser cette douleur ? Ne sont-ils donc qu’une poudre blanche qui s’envole au moindre souffle du vent ? Profitons de notre jeunesse, dit Mark, soit, mais ce soir je suis comme ces deux clowns à attendre Godot.

     Enfin, j’ai trouvé un refuge pouvant accueillir Saturne, il ne reste plus qu’à régler la question du transport. »

     

    Le lendemain, contrairement à ses habitudes, elle se leva très tôt pour accueillir les ouvriers alors que Mark dormait encore,. Mais lorsqu’elle alla à la cuisine pour faire couler son café matinal, elle vit avec horreur des vomissures et des déjections répandues sur tout le sol et parmi elles le renardeau étendu, secoué par des soubresauts violents. Elle est là à côté de lui, blême, sans mot, la main tendue dans le vide comme si elle cherchait la vie pour la retenir. Puis, elle part dans le salon, s’assoit sur la chaise, attend, se lève et retourne le rejoindre après quelques minutes d’une longueur éternelle. Il ne bouge plus. Il a les yeux grands ouverts. « Oh mon pauvre, mon pauvre » soupire-t-elle. Et il ferme les yeux. Elle voudrait le secouer pour le réveiller, elle ne fait rien. Elle comprend que la mort au visage simiesque se pavane devant elle et lui montre insolemment toute son impuissance. La mort!...La mort !  Et la mort trace de grands traits rouge feu, ici, là, ici, encore là . Et là, et là, là, là ...La mort s’esclaffe, rit ironiquement d’une voix glauque ....

    Elle se lève brusquement, court vers le miroir de la salle de bain et pose sa main sur le reflet de son visage.

    Son visage ? Ces traits arrondis, ces pommettes saillantes, et ces yeux....Oh ces yeux que voient - t - ils ?

    « Mais que t’arrive - t- il, tu es toute pâle ? »

    Un homme apparaît dans le miroir, un homme à l’oeil persan, aux traits presque parfaits, un homme....

    «  Je te quitte, Mark  »

     

    Une merveilleuse couleur orangée vient caresser sa joue droite et la réveille de ses souvenirs si proches et si lointains.

    «  Malheureuse, qu’avez - vous fait ? »

    Mark et elle ne sont plus revus depuis.

    Elle regarde ces maisons au long manteau crème, aux toits s’élançant vers le ciel, et le soleil qui va donner d’autres couleurs à d’autres peuples. Et le début d’un vers de Schakespeare lui vient à l’esprit : « il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel... ».


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